"Notre consommation n'est pas innocente"

Interview de Paulette Lenert dans le Quotidien

Interview: Le Quotidien (Genviève Montaigu)

Le Quotidien: Le budget alloué à la protection des consommateurs a doublé, nous a appris le ministre des Finances. Qu'est-ce qui change fondamentalement?

Paulette Lenert: Ce qui a changé, c'est l'importance accordée à la thématique. Nous voulons créer une vraie plus-value pour le consommateur. Pour la mettre en oeuvre, il faut évidemment une stratégie et du personnel. Le nouveau département sera opérationnel le ler avril et comptera une vingtaine de personnes, dont une bonne moitié vient des départements qui s'occupaient déjà de la protection des consommateurs. La compétence était répartie entre différents ministères, comme celui de l'Économie pour le marché intérieur, qui s'occupait de tout ce qui concernait la politique générale de consommation, le ministère de l'Agriculture qui s'occupait de la sécurité alimentaire, et le ministère de la Santé. Pour construire un nouveau département, il faut une coordination générale, un secrétariat, un service communication pour informer le consommateur. Il y a, par exemple, un très bon contrôle de la chaîne alimentaire mais les gens ne le savent pas forcément, parce qu'il y a beaucoup de désinformation sur les réseaux sociaux, et il y a un devoir pour l'autorité publique de devenir proactif. Il faut aussi mettre la dose pour informer les gens sur les arnaques.

Le Quotidien: Vous faites allusion au commerce électronique?

Paulette Lenert: Oui, c'est une nouvelle offre très dynamique mais il y a des vides juridiques et de nouvelles arnaques qui se développent. Une division juridique sera mise en place au sein du département. Il est aussi question de protéger les données des consommateurs, qui représentent une nouvelle richesse. Il faut que les gens soient informés de ce qui peut se passer avec leurs données et qu'ils donnent leur accord ou pas.

Le Quotidien: Comment définissez-vous les missions de ce nouveau département?

Paulette Lenert: Il s'agit de promouvoir à partir d'un seul département tout ce qui peut aller dans la direction de la protection du consommateur, par exemple avec un guichet unique à mettre en place. Il y a un grand besoin d'informer et de sensibiliser, c'est vraiment important. C'est un devoir d'éduquer, parce qu'aujourd'hui, il ne suffit plus de savoir lire et écrire, il faut donner les moyens au consommateur de comprendre.

Le Quotidien: Comment comptez-vous vous y prendre?

Paulette Lenert: J'aimerais bien rendre l'étiquetage plus compréhensible pour le consommateur. Il faut savoir que notre marge de manœuvre est assez limitée dans ce dossier, qui est traité au niveau, européen. Mais nous devons permettre au consommateur de se renseigner sur la valeur nutritionnelle d'un aliment, ce qui n'est pas encore obligatoire. Il faut éduquer le consommateur pour qu'il sache lire ces renseignements car aujourd'hui, c'est encore inintelligible. Il faut utiliser un langage administratif simple pour qu'il comprenne ce qu'il consomme car il a un grand impact sur le marché. Il faut miser sur les très jeunes consommateurs, leur apprendre à avoir les bons réflexes de consommation durable. Pour moi, il s'agit d'assurer la qualité en mettant en place cette nouvelle administration unique chargée des contrôles et, au-delà des règles minimales de sécurité, d'insuffler une culture de consommation durable.

Le Quotidien: Il existe déjà des labels pour cela, non?

Paulette Lenert: Oui, mais les gens savent-ils exactement ce qu'ils signifient? Quand on achète un vêtement, est-on sûr que des enfants n'ont pas été exploités pour le fabriquer? Les droits sociaux ont-ils été respectés? Je suis sûre que si les gens sont bien informés de ce que cela signifie, ils seraient prêts à mettre un peu plus d'argent, de payer un prix équitable.

Pour toutes ces raisons, l'étiquetage doit être clair et simple à comprendre pour les gens pressés que nous sommes, car on ne peut pas passer deux heures dans un supermarché à essayer de trouver les informations que l'on cherche sur les produits. Le bio, c'est bien, mais tout ce qui écologique n'est pas forcément issu du commerce équitable, il faut en être conscient.

Le Quotidien: La protection des consommateurs, c'est aussi tout un réseau de médiateurs qui exercent dans différents domaines. Seront-ils sous votre tutelle?

Paulette Lenert: Non. Il est vrai que le gouvernement travaille beaucoup en faveur de la résolution extrajudiciaire des litiges de la consommation et les médiateurs relèvent chacun de leur autorité de tutelle, comme la Commission de surveillance du secteur financier (CSSF), qui relève du ministère des Finances. Nous en avons pour les transports, ainsi qu'un médiateur à la consommation qui dépend du ministère de l'Économie, pour ne citer que ces exemples. En revanche, je vais m'occuper de promouvoir ce réseau de médiateurs mais mon ministère ne dispose pas de médiateur sous sa tutelle. Le médiateur à la consommation est une entité neutre entre l'entreprise et le consommateur et en le rattachant au ministère de la Protection des consommateurs, il y aurait eu cette empreinte proconsommateur.

Le Quotidien: Allez-vous travailler étroitement avec l'Union luxembourgeoise des consommateurs (ULC)?

Paulette Lenert: Oui, c'est l'un de nos partenaires privilégiés avec qui nous avons une convention. C'est I'ULC qui faisait tout le travail d'information et de sensibilisation, ce qu'elle va continuer de faire, mais nous allons certainement faire un point et voir comment nous pouvons faire évoluer notre collaboration. Nous avons comme autre partenaire conventionné le Centre européen des consommateurs (CEC). Je suis en train de rencontrer tous les acteurs dans ce domaine.

Le Quotidien: La médiation fonctionne bien?

Paulette Lenert: Oui, mais il faut encore la promouvoir. Les entreprises adhèrent bien à la médiation et, au sein du ministère de l'Économie, c'est promu comme responsabilité sociale des entreprises. L'entreprise se montre socialement responsable quand elle active un médiateur en cas de litige plutôt que d'imposer au consommateur de se pourvoir en justice.

Le Quotidien: Les entreprises adhérent moins, en revanche, au recours collectif, qui fait grincer des dents...

Paulette Lenert: L'accès à la justice est essentiel dans un État de droit. Il y a beaucoup d'inégalités dans ce domaine et en Europe, nous sommes l'un des derniers pays à né pas avoir mis en place de recours collectif, et c'est une vraie carence. Le consommateur est toujours en position de faiblesse en cas de litige à faible enjeu, je pense par exemple à une entreprise qui monte une arnaque à un euro par consommateur et qui peut lui rapporter beaucoup, alors que le consommateur lésé va se résigner. Il ne va pas faire un procès pour un si petit enjeu, d'où l'intérêt du recours collectif qui permet aux consommateurs de se solidariser et d'agir ensemble.

Le Quotidien: Que craignent les entreprises?

Paulette Lenert: Ils craignent des abus, de voir l'affaire sortir dans la presse avant qu'elle ne soit jugée et, donc, ils craignent pour leur réputation. Aux États-Unis, les recours collectifs sont très agressifs, mais en Europe on cherche l'indemnisation pour le préjudice réel, il ne s'agit pas d'un recours à caractère punitif et très médiatisé.

Le Quotidien: Vous étes également directrice de la Coopération au développement et de l'Action humanitaire, un domaine qui ne vous est pas totalement étranger...

Paulette Lenert: Non, je retrouve beaucoup de visages connus que je croisais quand je travaillais pour le département de l'Économie sociale et solidaire. L'éthique et la solidarité, c'est ce que nous essayons de promouvoir à travers les objectifs de développement durable.

Le Quotidien: On parle beaucoup de finance inclusive et encore récemment avec l'ouverture du bureau européen de la Social Performance Task Force (SPTF). Est-ce une nouvelle vole pour réduire la pauvreté dans le monde?

Paulette Lenert: La SPTF sont des professionnels qui vont aider les investisseurs à mieux articuler leurs attentes en termes d'impact social en mettant en place des indicateurs spécifiques. Nous venons tout juste de lancer le fonds d'investissement pour l'entrepreneuriat agricole, le Fonds ABC, qui va permettre de combiner des investissements privés et publics avec la cible très particulière que sont les PME agricoles. Pour les grandes entreprises, ce sont les multinationales qui vont investir, pour les structures familiales il y a le microcrédit, mais il n'y avait rien encore pour les segments moyens, où nous allons vers une création d'emplois durables sur place. Il y aura des lignes d'investissements qui profiteront pleinement à la population locale à l'agriculture durable. La SPTF, pour en revenir à elle, va nous aider avec son expertise à articuler nos attentes, comme par exemple X emplois créés pour la population locale dans un périmètre donné. On ne raisonne pas seulement en retour sur investissement mais en objectifs de développement durable. Nos premiers projets seront lancés d'ici l'automne.

Le Quotidien: Vous évoquiez votre expérience dans l'économie sociale et solidaire. Dans ce cas concrets elle vous sert bien..

Paulette Lenert: Oui, je vois un parallèle, car l'économie sociale et solidaire peut être un levier de développement durable dans les pays en développement au niveau de la gouvernance. Une gouvernance durable, c'est de faire participer les travailleurs et d'assurer leurs droits. On entend beaucoup parler de finance verte, mais la finance sociale reste encore à développer. Je crois aussi beaucoup aux vertus des nouvelles technologies.

Le Quotidien: Par exemple?

Paulette Lenert: Nous finançons un projet à Munich, un incubateur pour des nouvelles technologies dans le domaine de l'agriculture à travers la connectivité. Une fois que cette connectivité est en place, on peut donner des informations sur la météo, des instructions pour les semences à des producteurs locaux. Nous avons plusieurs projets en Afrique, où nous essayons d'avoir une connectivité globale dans le pays. Tout le monde a un smartphone et nous pouvons même donner des indications pour une aide en matière médicale à travers des images. Un de nos projets a réuni 2 000 utilisateurs en un an. On peut transmettre beaucoup d'informations à grande échelle avec un petit investissement.

Le Quotidien: Diriez-vous que vos deux ressorts se rejoignent?

Paulette Lenert: Oui, si nous consommons ici de manière responsable, cela aura un impact sur les pays en voie de développement. Notre consommation n'est pas innocente.

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